Jeudi, 16 février
Je viens de discuter de mes projets pour les mois qui viennent et de ces ateliers que je souhaite offrir et notre fils me demande à un moment d'arrêter de parler car je suis à côté du sujet, selon lui. J'ai dépassé le sujet, semble-t-il, et lui a quelque chose d'important à dire avant qu'on passe à autre chose. Je sais qu'il doit avoir raison, par expérience car c'est arrivé souvent par le passé, alors j'écoute.
Comme je lui dis ensuite, ça m'arrive souvent de me faire dire ça, entre autres sur une liste de discussion... Bon, en réalité, on ne me dit pas que je suis hors-sujet mais plutôt on essaie de dire, sans vraiment le dire, que ce que j'exprime n'est pas ce qu'on "attend", et puis, en fait, qu'on ne veut pas de discussion. "Pas de discussion possible", j'ai déjà entendu quelque part, moi... Comme ce midi, je me sens incomprise et j'essaie de comprendre pourquoi on veut me faire taire lorsque je veux émettre quelque chose sur le sujet en cours - pourtant, il s'agit bien du même sujet puisque mon cerveau a fait le lien entre la discussion en cours et un événement que j'ai vécu, alors pourquoi ? Je confie cela. Je dis qu'il m'arrive d'être très à l'aise avec un sujet et de vouloir partager afin de mettre les mots justes, apporter des informations importantes sur un sujet méconnu et souvent incompris mais que d'autres, souvent, croient que ce n'est pas le même sujet... Il me répond de ne pas confondre.
Il y a ce moment où je veux témoigner de quelque chose que j'ai vécu (en lien avec le sujet) mais qu'il n'a pas besoin d'entendre, lui, puisqu'il vit avec moi, et qu'il le sait très bien: il sait exactement ce que je vais dire.
Et il y a ce moment, ça arrive souvent, où les gens veulent qu'on se taise, ou mieux qu'on n'ait pas commencé à parler, qu'on n'exprime pas ce qu'on a vécu sur un sujet car ils ne voulaient déjà pas en entendre parler pour vrai, au fond. Ils ne voulaient pas savoir, ne veulent pas entendre, voulaient juste recevoir l'approbation sur ce qu'ils vivent ou désirent vivre. Entendre des témoignages, oui, si et seulement si ça les réconforte dans leur position, si ça les réconcilie avec leur idée déjà faite.
Bien sûr, entendre un avis, un témoignage, voir un autre point de vue bâti sur du vrai et du vécu, ça peut indisposer qui voulait surtout voir son reflet dans l'eau de son environnement. Difficile parfois la communication car l'inconfort rôde quand on touche, parfois sans l'avoir prévu, des blessures passées mais pas encore cicatrisées. Presque toujours, c'est relié au fait qu'on a besoin d'un groupe et qu'on veut y être "bien vu", en somme accepté et aimé. Et quand un mot, une impression, touche à "ça", l'émotion du passée revient. Pour être vécue, reconnue, exprimée. Et quand on ne connaît pas ce mécanisme du cerveau, on souffre et on croit que pour faire cesser la souffrance, l'émotion, il faut couper la communication ou l'action en cours... et faire comme si tout allait bien ? Difficile... je le sais, je l'ai vécu aussi, je le vis encore parfois. Les recherches des psychiatres américaine Francine Shapiro et allemande Alice Miller m'ont beaucoup éclairé sur ces souffrances.
Il m'arrive, uniquement dans le but de protéger les droits des enfants à être qui ils sont (parce que le déni de notre culture envers eux est si puissant et omniprésent) de témoigner et d'apporter de l'information aux parents qui le demandent. Et parfois, il semble, après coup, que certains préféreraient que je ne l'ait pas fait. En personne, je sens maintenant très bien ce "moment" où l'autre ne veut pas savoir, parce qu'il est envahi d'émotions. Mais à l'écrit, surtout si je lis des faussetés, j'apporte des précisions, des clarifications. Car je pense que celui qui cherche, qui se questionne, n'a pas envie d'être maintenu dans des préjugés et des croyances. S'il en parle, c'est qu'il est en recherche active d'une meilleure compréhension pour vivre mieux et être dans le bien-être, poser les actions qui le conduiront dans la direction choisie, non ? Sinon, pourquoi en parler ?
Moi, quand je veux être certaine qu'on va m'approuver, je sais que je peux me regarder dans un miroir. Quand c'est moi qui fait un pas, quand je vais vers l'autre pour discuter d'un sujet, je veux entendre l'autre. Je ne veux pas qu'on me dise ce que je pense déjà puisque ça, je le sais déjà. Je m'attends à ce que les autres me fassent penser à ce que je n'aurais peut-être pas pensé. Qu'ils m'apportent des données justes, et des arguments solides. Bon, en général, je cherche à fond, je collige les informations de plusieurs sources différentes et je les compare, puis, si tout ce que j'ai trouvé sur le sujet me semble insuffisant ou parfois dans le but de m'assurer que mes résultats de recherche et d'observation ne sont pas insuffisants, imparfaits voire, erronés, il arrive que je pose ensuite la question dans mon entourage ou sur différents réseaux de discussion liés au sujet. Parfois, ça amène un peu d'eau au moulin de mon sujet de recherche, parfois sur autre chose et alors, je conserve les données pour d'autres applications. D'autres fois, c'est le désenchantement total de voir que personne ne semble avoir d'information sur le sujet. Le plus difficile est sûrement quand l'autre n'est pas au courant et qu'une fois le sujet de conversation engagé, l'émotion traverse la barrière du passé... comme ça, live !
Nos enfants aussi ont vécu ça à de nombreuses reprises. Ils sont à fond dans quelque chose et trouvent tout plein d'infos puis à un moment, ils ont besoin de comparer leurs déductions avec d'autres, et pour ce faire quoi de mieux que le contact humain. Trouver des gens qui cherchent à fond eux aussi, mais peu de jeunes en ont le temps, la liberté, la possibilité. Peut-être d'autres familles vivent-elles ce phénomène ? Si oui, dites-nous, on partagera. :-) En attendant, vive l'internet pour les réseaux sociaux !
Donc, cette conversation avec mon fils, tantôt, a eu un effet important sur moi qui commençais à craindre que mon cerveau, que mes neurones soient si abîmées qu'elles ne traitent plus l'information comme celles des cerveaux des autres humains. En réalité, je ne craignais pas pour vrai, mais j'étais dans un état (émotif) tel que je me questionnais au cas où... Après avoir passé trente années de ma vie à croire que tout le monde avait toujours raison sauf moi, c'est un réflexe qui n'est pas complètement éteint. Triste vérité, peut-être. Mais, j'en témoigne au cas où ça apporte quelque chose à d'autres. De cette certitude imposée que j'avais toujours tort, résignée, soumise, j'ai accepté, à contre-coeur, la mort dans l'âme à un exposant indicible, d'obéir et de faire comme les autres me disaient de faire.
École obligatoire (c'est la loi et puis, faut bien apprendre, hein!), devoirs et leçons (pas le choix, si la maîtresse le dit, c'est important!), manger de la viande (pour les protéines (!) et puis, y'en a qu'y ont rien à manger, hein!), travail aux champs (ta grand-mère a besoin de nous pour pas que ses taxes augmentent, et puis, faut apprendre à travailler quand on est jeune!), inscription au cégep (même plus de question, ici), en administration (tu vas avoir un bon métier), trouver un stage (sinon pas de diplôme), accepter un emploi salarié (comment même penser autrement ?), accouchement à l'hôpital (moi qui étais si bien dans notre appart, sur le divan, dans notre salon, mais faut pas "c'est dangereux"!), drogue (vous êtes trop nerveuse, faut vous calmer!), épidurale (vous avez trop de douleurs, ça va vous aider), épisiotomie (les épaules passent pas, faut couper !), donner le biberon (la nouvelle maman doit dormir la nuit, faque l'infirmière donne le biberon en cachette alors que moi, je veux allaiter !), mettre le bébé en garderie (le congé payé de 6 mois achève, et ça coûte cher vivre), reprendre le boulot (sinon tu vas t'ennuyer à la maison, seule avec un bébé, voyons, toi qui a "toujours" travaillé), le mettre à l'école (c'est la loi...
tiens, on ferme même plus la parenthèse là, ça tourne en rond...
On recommence pas la même chose là ? C'est quoi cette histoire qui tourne en rond ? Ce cercle vicieux ? Bon Dieu, Sainte Mère, Tab____ (prenez ce qui vous convient le mieux) suis-je seule à le voir ? Et à vouloir en sortir... ?
Ouf ! J'étais partie moi là, hein ! Ouais, j'étais partie... mais où donc ? J'sais pas mais j'étais pas chez moi en tout cas. J'étais juste "plus là". Absente. Comme dans "la personne que vous désirez joindre n'est pas disponible en ce moment, veuillez rappeler un peu plus tard".
Je n'étais pas dans MA vie, tout ce temps. Non-disponible. Pour cause d'obligatoire !
Ainsi, j'ai un peu dévié du sujet. Quoique pas vraiment, puisque c'est lié. Voilà, c'est lié, je ne suis pas hors sujet. Et puis si je l'étais un peu pour certains, c'est juste qu'ils n'auraient pas suivi (je les comprendrais à moins), ou pas réalisé encore à quel point tout est lié.
Je demande à mon grand s'il veut que je lui partage ce que je suis en train d'écrire et il me demande si c'est obligé. :-D Je réponds que non, bien sûr. Et nous y re-voilà. J'ai envie de m'exprimer, de partager ce que je vis, j'écris, il a autre chose en tête et préfère ne pas l'entendre en ce moment pour ne pas interférer dans ses pensées. Cette fois, parce que j'ai suivi le fil de mes pensées, que j'ai pris le temps de les écrire, et parce que je sais très bien qu'il n'a rien demandé, je ne lui raconte pas. On y reviendra peut-être, s'il le demande. Sinon, pas de problème, il fait sa vie. Je fais la mienne. On se comprend. On s'aime. Peut-on faire comme ça avec chacun ?
PAUSE
Balade avec mon fils dans la blancheur de l'hiver québécois, debout pour monter dans le boisé, assis pour en redescendre les pentes enneigés en riant !
RETOUR
J'ai encore des choses à dire, des précisions à apporter mais je veux faire autre chose de ma journée. Ce qui me turlupine le plus sur ce sujet, comme sur tous les autres, c'est Nelson Mandela qui m'en fournit les mots, par le biais d'une amie. Là où le bât blesse tout le monde, c'est qu'à refuser de voir la réalité parfois, lors de ces moments où l'émotion passe la barrière du passé et qu'on choisit de les réprimer plutôt que de les reconnaître et les vivre, on s'emmure plutôt que de se libérer.
Édith
P.S. À mes parents que j'aime de tout mon coeur, ce que j'exprime ici n'est en aucune façon un jugement de ce que vous avez vécu comme parents. Je le dis au cas où une émotion viendrait. ;-) Je ne juge pas. Je sais que les parents vivent des temps très durs dans cette culture où la vie humaine n'est pas respectée. Je le sais, je suis un parent. Et nous avons tous vécu des moments très durs étant enfant. Nous sommes tous des enfants, ne l'oublions pas.
Comme me l'écrivait Léandre Bergeron en autographiant son livre en avril 2002: "À Édith, pour la libération de nos enfants et la nôtre de ce fait même."