vendredi 9 février 2018

Tante Isabelle et mes apprentissages autonomes

Ma tante Isabelle est partie.
Ça faisait un bout de temps que je ne l'avais revue. En fait, depuis que mon oncle Armand est parti, quelques années avant elle.

De toutes mes tantes (et oncles), Isabelle est probablement celle qui a eu le plus d'influence sur mes apprentissages. D'autres diraient mon éducation mais ce n'est pas la même chose. Tante Isabelle n'essayait pas de m'éduquer.

Alors comment a-t-elle eu cette importance sur les apprentissages de l'enfant que j'étais ?
Tout simple: en ne s'en chargeant pas et en vaquant à ses occupations. Autrement dit, elle savait nous laisser faire ce qu'on voulait faire, et s'assurait (discrètement, je suppose, comme le font les mamans et les papas) que nous avions tout ce qu'il faut, un toit chaleureux et de quoi nous nourrir. Je raconte ci-dessous quelques-uns de mes souvenirs.
Cuisine: je découvrais les spaghettis gratinés et pour dessert, avec mes cousines, on se faisait des tartes sans cuisson à croûte de biscuits, qu'on remplissait d'une montagne de baies fraîchement cueillies surmontée de crème fouettée. On en faisait tous les jours ! Tous.les.jours.
Achats: j'allais parfois faire les 'commissions', seule ou avec une cousine, et on faisait 'marquer'. (en résumé: on rapportait un pain et on avait de la réglisse gratuite. ;-)

Chanson, anglais : rencontre avec les Beatles. Devant le grand meuble stéréo en bois que j'admirais, je chantais tous les mots inscrits sur la pochette intérieure de l'album rouge, dans cette jolie langue que je découvrais - bien forte de mon accent québécois. La plupart de ces mots m'étaient étranger mais j'avais quand même tout de suite compris que eight days a week, ce n'était pas possible.
J'OSE la vie ! -journaljose.blogspot.com

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Musique: il y avait un piano et aussi un orgue au sous-sol où je passais de longs moments à découvrir et jouer.

Plein-air, cueillette, barque et pédalo: j'adorais les balades dans les sous-bois et nos randonnées avec les cousines à pédaler ou ramer pour faire le tour de la petite île sur le lac, au chalet. Et je me rappelle clairement mes allers-retours à la cuisine pour les galettes de tante Isabelle.
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Au chalet de tante Isabelle (photo: J'OSE la vie ! -2017)

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Au lac ! (photo : J'OSE la vie ! 2017)

Vie de famille: avec la plus jeune de mes cousines, on allait parfois à pied visiter les grand-parents qui habitaient pas très loin, juste comme ça, pour 'piquer une jasette', comme on dit au Québec.
Premier 'emploi': quand on en avait envie, on allait jouer/travailler à l'usine de mes oncles, mettre les vis dans les taquets pour la fabrication des fenêtres. Et on nous payait !
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Économie: j'avais épargné tous les jours pour pouvoir offrir à maman un joli bol (à bonbons) en forme de fleur dorée, vu dans la vitrine du magasin lors d'une promenade dans le village. Sur l'étiquette était inscrit 75. J'ai été bien soulagée lorsque, le dernier jour avant de rentrer alors que j'allais acheter de mes propres économies ce premier cadeau, le monsieur m'a confirmé que c'était 75 cents et pas 75 dollars !!
Enfin, après quelques jours, maman et papa venaient me chercher ou alors ma tante et mon oncle me ramenaient chez nous. Mais un jour, on m'a mise dans un très gros et très haut camion rempli de portes et de fenêtres (sur le siège passager, quand même!). On profitait d'une livraison 'en ville' pour me ramener chez moi. Inutile de dire à quel point j'étais impressionnée. Le midi, le chauffeur s'est arrêté juste avant le pont, dans un truck-stop. Timide (un euphémisme ici), je ne sais même pas comment je suis arrivée à commander des frites mais je me rappelle très bien avoir mangé, assise sur un tabouret au comptoir, parmi tous ces géants, avant de reprendre la route pour la livraison sur un chantier. Pendant un temps qui m'a semblé durer des heures, je suis restée sagement assise dans le gros camion à ne rien manquer de tout ce qui se passait devant mes yeux de ce débarquement de fenêtres sur le chantier. Quand on est finalement arrivés à la maison, je me sentais un peu comme une princesse qui descend de son carrosse en descendant de ce mastodonte. Heureusement, maman m'attendait.
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R. Laflamme & Frère
J'ai tant de souvenirs de ces séjours chez l'une ou l'autre de mes tantes. Simone, Lucienne, Monique. Les hautes balançoires, les grands cousins qui jouent au hockey, les poupées crochetées, le cheval dans le pré, la petite enregistreuse avec laquelle on pratiquait nos chants de Noël. Étrangement ou pas, plusieurs de mes souvenirs sont faits de soupe aux légumes, de tarte aux bleuets ou de galettes à l'avoine (au gruau, qu'on disait alors). Serais-je gourmande ? Probablement. :-) Mais, n'y a-t-il pas aussi le fait que les souvenirs de repas partagés en bonne compagnie restent facilement inscrits dans nos mémoires ? J'en suis persuadée. Et au-delà des souvenirs de goûts et d'odeurs, tout ce que j'ai appris en le vivant est autant sinon plus gravé en moi.
Je sais depuis longtemps qu'on peut tout apprendre en voyant faire et en faisant soi-même, de façon autonome. Des années plus tard, j'ai pu le constater d'une façon toute particulière lorsque, devenue maman, je me trouvais aux première loges pour l'observer chez nos enfants. Cela dit, bien que je n'y aie passé que quelques jours d'été pendant quelques années, si cette certitude est inscrite en moi depuis si longtemps, c'est aussi en partie grâce à ces petits séjours chez tante Isabelle. Et pour cela, je suis encore aujourd'hui emplie de gratitude.

Au revoir tante Isabelle, et merci !