mercredi 7 décembre 2011

Petit, je voulais être boulanger, mais j'étais bon en maths

Nous partageons ici une histoire pas très différente de la mienne, de celle de plusieurs personnes autour de nous, de celle que nos enfants dénoncent tous les jours... sans être écoutés la plupart du temps.

Cette histoire est peut-être aussi la vôtre...

C'est, en tout cas, ce que nous essayons de partager avec notre entourage depuis longtemps, longtemps. 

Merci à Matthieu Stelvio de l'avoir écrite et publiée.

L'article original est ici : http://tempsreel.nouvelobs.com/rue89/rue89-education/20111015.RUE4978/petit-je-voulais-etre-boulanger-mais-j-etais-bon-en-maths.html

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Matthieu Stelvio

Riverain
Une miche de pain (Sander van der Wel/Flickr/CC)
Petit, je voulais être boulanger, puis facteur, puis berger. On m'a poussé à faire des études. On m'a expliqué que c'était le seul moyen de réussir ma vie, de gagner de l'argent, de m'épanouir dans un métier. J'ai enduré de longues heures, de longues années de cours. Je me suis ennuyé, ennuyé et encore ennuyé sur des dizaines, des centaines, de milliers de chaises.
Et maintenant que j'ai cinq années d'étude en poche, que je travaille - je suis ingénieur, je passe mes journées à concevoir des cuillères en plastique à moindre coût, pour environ 1700 euros par mois- je continue à m'ennuyer, et regrette profondément de n'avoir pas écouté le petit enfant qui voulait élever ses moutons en Ardèche.
Et autour de moi, lorsque je tends l'oreille, voici ce qui tombe dedans :
  • « J'ai fait cinq ans d'étude, je passe mes journées à faire des additions. Tout ce que j'ai appris ne me sert finalement à rien. »
  • « J'aurais bien fait des études littéraires ou sociales, mais on m'a martelé qu'il n'y avait pas de débouchés. Je me suis fatigué à bosser des matières ennuyeuses pendant des années en espérant que j'aurais un travail solide au bout ; et maintenant que j'ai mon diplôme, j'enchaîne les CDD à temps partiel payés au smic... »
  • « J'en ai marre de tout donner, de partir tous les matins à 7 heures et de rentrer tous les soirs à 20 heures, et de continuer à galérer pour manger des casseroles de pâtes et pour me payer un 20 m2 tout miteux »…

Des agents économiquement productifs ou des ratés

Soumise aux pressions des marchés, l'école, de plus en plus délaissée par l'Etat, tend à aspirer les enfants dans une machine scolaire infernale, pour ensuite recracher vingt ans plus tard soit des agents économiquement productifs, soit des ratés.
Ainsi, tant qu'un élève aura de bonnes notes, on lui conseillera vivement de suivre la voie royale : seconde générale, première scientifique, option mathématiques, maths sup, etc.
On ne cherchera pas à savoir ce que l'élève veut faire de sa vie. De toute façon, lui-même n'en sait rien, car bien souvent ni l'école ni la vie de tous les jours ne lui donnent les moyens de savoir ce qu'est un métier, ou tout du moins un métier différent de celui de ses parents.

Pour maintenir l'ordre : l'angoisse

En série scientifique, plein de jeunes se battent pour devenir ingénieurs, car on leur dit que c'est le seul moyen d'avoir une situation stable et confortable, mais la grande majorité ne sait même pas expliquer ce qu'est au juste un ingénieur. C'est du formatage : la France veut des ingénieurs, car statistiquement, ils font plus grimper le produit intérieur brut que les agriculteurs ou que les poètes.
On abuse de l'indécision pour les pousser dans des voies qu'ils choisissent rarement en connaissance de cause et qui engagent toute leur vie.
Pour maintenir l'ordre, pour que les élèves filent sagement dans l'entonnoir, on utilise une arme redoutable : l'angoisse. Les télés, les radios, les politiques, les profs, les parents, toute la société dans son ensemble angoisse la jeunesse :
  • « La situation est grave, nous sommes en crise ». Il faut entrer dans la « guerre économique » ;
  • « Les plus faibles sombreront dans le chômage, et finiront à la rue » ;
  • « De toute façon, il n'y a plus d'argent dans les caisses ; et on ne va pas taxer les riches, les spéculateurs et les capitaux, car sinon tout partira à l'étranger… » ;
  • « Tremblez, enfants de la cinquième puissance mondiale : si vous ne voulez pas crever de faim, travaillez, étudiez vos mathématiques, devenez ingénieurs, faites-nous des plans d'avions de chasse et de centrales nucléaires. »

Premières victimes : les enfants des classes modestes

Ce sont généralement les enfants des familles les plus modestes qui sont le plus sensibles à ce stress, à ce chantage, car leur échec ne peut que très difficilement être financièrement amorti par la famille. Et encore moins par un Etat de moins en moins soucieux des questions d'équité sociale (car ne l'oublions pas : dans un monde où l'on donne des centaines de milliards aux banques, l'équité, ça coûte trop cher).
Pour ces enfants modestes, tout tâtonnement est proscrit, il faut foncer tête baissée dans l'entonnoir. Je n'oublierai jamais ces heures d'angoisse qui précédaient les contrôles de mathématiques – coefficient 9 –, de physique – coefficient 6 –, ces heures à faire et à refaire toujours les mêmes exercices, ces heures où ma place en classe préparatoire, où tout mon avenir se jouait. Ces heures et ces années où l'école abrutit plus qu'elle n'élève.
Le lycée est, pour certains, un véritable enfer dans lequel la moindre mauvaise note est susceptible de faire chuter lourdement une moyenne ; et une mauvaise
moyenne dans une discipline clé peut, à son tour, considérablement réduire les chances d'un élève d'être pris en classe préparatoire, BTS, etc.
Avoir de bonnes notes ne suffit pas, il faut aussi être bien classé ; et la compétition commence dès le collège et s'intensifie avec les années d'études. Elle peut devenir terrible lorsqu'il s'agit des concours de médecine ou d'entrée aux grandes écoles. Bien souvent, la soif de la réussite prend le dessus sur le désir d'apprendre.

Matheux = génies, philosophes = inutiles

L'art, la philosophie et la poésie sont des disciplines pleines de sens qui peuvent orienter une vie. Le système scolaire les néglige de plus en plus. L'histoire et la géographie sont désormais en option en terminale S ; disciplines évidemment inutiles pour former, à titre d'exemple, nos futurs ingénieurs nucléaires.
Il me semble qu'assez tôt dans le cursus, les « matheux » sont assimilés à des génies, les économistes à des prophètes, les poètes à des cancres et les philosophes à des choses inutiles. Il serait vraiment triste qu'au lieu d'aider les élèves à donner du sens à leur vie, l'école se contente de les transformer en
machines à calculer.
A force de négliger les aspirations de la jeunesse, la société donne naissance à des générations en souffrance, à des adultes qui doutent de plus en plus du sens de leur travail, et il ne faut pas s'étonner qu'un jour ou l'autre, une génération se réveille subitement pour refuser un monde qu'elle n'a jamais eu l'occasion de choisir.
La force et l'énergie des révoltés, des indignés sont, pour moi et pour beaucoup, une grande espérance. (par Matthieu Stelvio - Rue89)

6 commentaires:

Alexandra a dit…

Ouin, moi aussi j'étais bonne en maths! Peut-être que ça m'a surtout amené à une grande indécision - plutôt qu'à être une grande ingénieure... Ouf. La réflexion continue...

L'équipe J'OSE la vie ! a dit…

Oui, sûrement que pour plusieurs, ça a mené à une grande indécision. J'espère que ta réflexion avance, et que la "reconnexion" avec ton enfance t'y aide. ;-)
Edith

O a dit…

Le problème c'est le foutu concept de "carrière" et d' "emploi". Vous savez d'où vient le mot "emploi"? De "employer", comme dans "utiliser".

Dans ce monde, les gens sont "utilisés".

Emilie a dit…

Votre article m'a vraiment fait réfléchir. J'éduque mes enfants à la maison, en partie pour ces raisons.

L'équipe J'OSE la vie ! a dit…

Merci Émilie ! En fait, il ne s'agit pas de "notre" article mais de celui de Mathieu Stelvio, publié sur Rue89 (comme on peut le voir en cliquant sur le titre) et nous avons fait le relais. Depuis, nous l'avons traduit en anglais et le republierons prochainement pour qu'il circule aussi du côté anglophone.

L'équipe J'OSE la vie ! a dit…

Oui O, il y a un truc bizarre avec l'"emploi" et la carrière. J'aimerais bien retrouver cette personne qui fat une étude sur les origines du travail salarié, qui a été imposé par la force et la violence. On en reparlera sur ce blog, si je trouve...

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