Marée noire
Vous connaissez l'expression utilisée lors du naufrage de pétroliers, échoués quelque part en mer, ou plus près des rivages, et dont le pétrole fuit et se répand partout et détruit la vie sur son passage.
Cette image monte parfois en moi. Ou plus souvent, selon le moment.
Notre famille a fait le choix d'un chemin de vie différent. On a choisi d'aimer, de s'aimer, de vivre ensemble, de refuser les séparations et la ségrégation par l'âge et le sexe imposées à toutes les familles par les non-choix de notre société moderne.
(Moderne, ici, signifie déconnectée de la nature humaine, et de la nature tout court.)
Séparation mère/père: chacun son emploi
Séparation mère/nouveau-né: dès la naissance pour examiner, tester, médicamenter, vitaminer etc.
Séparation mère/nouveau-né: pour offrir un prétendu repos à la mère...
Séparation père/mère et nouveau-né: par le congé parental
Séparation parents/bébé: emplois et CPE
Séparation parents/enfants: emplois et école
Séparation frère/soeur: niveau scolaire
etc.
Michel Odent écrit dans son livre « L'amour scientifié » que [...]toutes les cultures perturbent les processus physiologiques dans la période qui entoure la naissance[...] et qu'[...]il convient en même temps de souligner que toutes les cultures n'ont pas besoin de développer au même degré et dans la même direction le potentiel humain d'agressivité.
Un peu plus loin, il constate [...] que si les perturbations [...] sont quasi-universelles, c'est qu'elles sont avantageuses en ce qui concerne la survie des groupes humains et l'évolution de l'espèce.
Et encore […] que nous ne devons pas perdre de vue que la quasi totalité des populations accessibles aux ethnologues connaît l'agriculture,[...] donc, qu'elles […] partagent les mêmes principes stratégiques de survie, à savoir la domination de la nature et aussi la domination des autres groupes humains. Pour de telles sociétés (dont la nôtre), il est avantageux de modérer et de contrôler les différents aspects de la capacité d'aimer, y compris la capacité d'aimer la nature et de respecter la Terre-Mère.[...]
Hum... c'est une bonne façon d'exprimer, en mots, la réalité humaine. Triste, décourageante même parfois, mais vraie.
Nous, ce qu'on trouverait avantageux, c'est que le temps s'arrête. Oh, juste un moment, comme dans les films, afin que chacun ait le droit, le temps, la possibilité de se poser les questions que nous nous posons aussi. Par exemples:
Qui suis-je ?
Que fais-je ici ?
Qu'est-ce que la vie ?
Suis-je vivant ?
À quoi ou à qui sert la vie ?
À quoi sert la vie humaine ici ?
À quoi sert ma vie ?
Comme vous vous y attendez, nous n'avons pas LA réponse à toute ces questions existentielles. (Bien que nous sachions maintenant que la réponse à la grande question de la vie, de l'univers et de tout le reste est 42 !!! :-D) Nous avons nos réponses ou certains éléments de réponse pour être plus précis, et nous faisons nos choix de vie en conséquence, délaissant de plus en plus la masse informe d'une majorité qui elle-même ne sait sûrement pas pourquoi elle agit ainsi. Sinon pour la survie. Car, ça, c'est sûr, tout le monde le sait.
Pour en revenir à la marée noire, que fait-on lors de l'échouage et du déversement d'un pétrolier dans l'eau, essentielle à la vie ? Et bien, on nettoie, c'est urgent ! Par des barrages flottants, on arrive parfois à contenir les dégâts mais il faut quand même nettoyer. De fond en comble. Partout. Et limiter ainsi les pertes de vie, la destruction de notre environnement naturel.
(Parenthèse) C'est drôle, dans un tel cas, tout le monde accepte qu'on parle d'environnement naturel... et pourtant quand on parle de vie naturelle, de choix de vie en fonction de notre nature plutôt que de la culture, le snobinisme intellectuel culturel en nous se cabre et rue. (Fin de la parenthèse).
À tout moment dans la vie, on peut réaliser qu'on porte en nous des trucs qui ne nous appartiennent pas: des croyances dont on nous a gavées étant jeunes, des façons d'agir plus ou moins utiles et appropriées ou, pire encore le silence imposé, l'action interdite. On se rend compte qu'on les a portés encore et encore, jusqu'à ce qu'on trouve comment s'en débarrasser. Tout nettoyer. Purifier comme on purifie l'air et l'eau pollués.
Ces « trucs » dont je parle, c'est une marée noire.
Et le « nous », c'est notre habitat naturel intérieur, notre esprit, notre cerveau, - certains diront notre âme - blessé, contaminé, souillé, brisé, en danger.
On doit contenir puis nettoyer cette marée noire qui s'échoue sur le littoral de notre raison, se dépose dans les abysses de notre conscience et tranquillement mais sûrement y détruit la vie. Et c'est ce qu'on fait.
Comme ceux qui nettoient les eaux, puis les rivages, nous plongeons au fond de nous-mêmes et allons chercher petit à petit ces saletés qui nous empoisonnent la vie pour les retirer. Lorsque nous sommes à plonger ainsi, nous travaillons très fort, nous sommes en situation difficile et y mettons tous nos efforts. Il est impossible de faire autre chose en même temps. La tâche est exigeante. On ne peut pas faire plus, on fait déjà tout. Pas même répondre aux multiples questions de ceux qui doivent aussi nettoyer leur coin, leurs rivages, et voudraient observer plutôt qu'agir ou avant d'agir.
Il est possible qu'on ne se sente pas sûr de soi (ça nous arrive tous) et qu'on sente le besoin d'observer pour apprendre comment on peut agir.
Possible.
Mais impossible aussi.
Impossible d'être présent à quelqu'un d'autre qu'à soi-même lors de ce nettoyage en profondeur essentiel et urgent. Chacun peut, chacun doit, trouver en lui-même la force de le faire. Ça prend aussi du courage et on peut le trouver en soi. Mais s'il a été trop abîmé ou endormi par notre éducation, on peut demander de l'aide, chercher ailleurs un exemple de courage pour savoir le reconnaître et l'utiliser. Par l'exemple de ceux et celles qui agissent courageusement. Et ça peut réveiller notre courage anesthésié. La prudence est de mise. Le discernement aussi. On peut parfois observer de loin, sans déranger. Parfois, après l'opération de sauvetage, lors d'un jour de congé bien mérité, on pourra avancer une question et écouter la réponse... mais pas pendant que l'autre est sous l'eau, évidemment ! Ni entre les remontées pénibles et les replongées nécessaires. On veut retrouver le courage, notre courage, pas noyer ceux qui en usent, n'est-ce-pas ?
Et après ?
Et après, quand le fond est enfin assaini, il reste à nettoyer les rivages. Car on ne veut pas vivre sur une terre contaminée et répandre encore et encore cette saleté qui tue. Voilà ce que suggère cette image qui monte en moi quand je nettoie quelque chose dans ma vie. Voilà ce que nous essayons de faire chez nous.
Et ensuite ?
Et bien, on verra. On verra plus clair. Ce sera plus propre. La vie pourra continuer. Continuer de vivre. Et de s'épanouir. À la condition que les autres fonds marins, les autres rivages autour, les autres endroits de cet habitat naturel qu'est la Terre aient aussi été nettoyés.
Comment la vie pourrait-elle s'épanouir si pendant que nous nettoyons nos rivages, d'autres laissent les leurs abîmés ?
Et si d'autres encore continuent de naviguer avec des pétroliers ?
Et si certains poursuivent la production du pétrole ?
Que de questions, que de questions !!!
Auxquelles nous n'avons pas les réponses non plus.
Ce qui ne nous empêchera pas de mettre tous nos efforts à nettoyer les dégâts des marées noires qui nous ont affectées.
Et après... on verra bien !
JOSE