Hier, j'avais quelques achats à faire et un chapeau à retourner à la friperie. Superbe couleur, je l'adore... mais ça ne va pas mais alors pas du tout avec mon manteau. Ça "tranche" beaucoup trop, comme dit mon chum. Il a raison. J'aurais bien voulu colorer mon manteau pour que ça "fitte", comme on dit "icitte", mais ce n'est pas possible. Tant pis !
Donc, j'arrive à la friperie. J'entre. J'entends un bébé qui pleure. Un petit bébé, c'est évident. Il pleure, et pleure, et pleure. Chaque fois, ça me fait si mal d'entendre un bébé pleurer et de sentir son désarroi car un bébé qui pleure, c'est un humain qui a un besoin et qui l'exprime de la seule façon qu'il peut le faire. C'est un appel à l'aide, en général un appel à sa maman pour le lait, la chaleur, le soin, le réconfort du sein maternel.
Donc, ce bébé pleure et je vois trois adultes qui suivent le cart sur lequel est déposé le bébé dans son siège auto. Trois adultes. Le père d'abord, puis la mère qui souffre en silence - ça se sent, vous le savez si vous avez déjà vécu un tel instant - et un autre homme, peut-être le frère du père, ils se ressemblent. Le bébé pleure toujours. De plus en plus fort. Le père se met dans la file pour la caisse, suivi des deux autres. Je suis juste devant et il y a déjà trois dames avant nous. Bébé pleure, bébé pleure, il s'époumone et on sent la tension monter dans tout le magasin.
La caissière, les clientes devant moi, toutes baissent les yeux, regardent ailleurs, comme chaque fois que j'ai vu ce genre de situation se produire. On baisse les yeux, on détourne le regard, on fait semblant de ne pas savoir qu'un être humain est en détresse, qu'un bébé totalement dépendant de l'aide d'un adulte est en pleine crise, on ne regarde pas les parents pour que surtout, ils ne se sentent pas mal à l'aise, car on croit que notre regard - ou pire peut-être un mot de notre part - va les précipiter dans la culpabilité ou la honte. Comme si ça pouvait être notre faute que les parents d'un enfant malheureux décident de ne rien faire. On a bien appris, tout enfant qu'on a été un jour, qu'on ne doit pas mettre mal à l'aise les pôvres parents d'un bébé qui pleure ou d'un enfant en crise, hein ! Ça ne se fait pas. Surtout pas en public. Surtout toujours protéger les adultes, les "couvrir" et faire semblant que l'enfant va bien, que c'est "mignon" un bébé qui pleure, un enfant en larmes. On peut faire un sourire entendu mais se taire. Ou encore lancer une blague sur le petit humain, se couvrir entre adultes et laisser tomber les enfants. Tant pis pour ces petits qui ne sont pas encore des humains, après tout... ouille, quelle horreur !
Pourtant, pourtant, quand un bébé va mal, les parents vont mal, tout le monde le sent et tout le monde va mal. Ce n'est que l'éducation qui fait que les parents ne bougent pas et ce n'est pas la faute des gens autour s'il se sentent mal à l'aise de leur inaction. Voyons donc !
En tout cas, moi, dans une telle situation - et j'en ai vécu souvent, vous aussi peut-être ? - je me sens mal. Très mal. Je me sens coupable de ne rien faire, de ne pas agir, de ne pas porter assistance à une personne en détresse. Particulièrement quand il s'agit d'un tout petit être entièrement dépendant des adultes qui l'entourent et qui ne voient pas à ses besoins. Ses besoins à lui, pas leurs besoins à eux. Eux, ils sont adultes, qu'ils se comportent comme tel.
Et le bébé pleure, et pleure... et moi, je cherche le courage et la sagesse. Je cherche en moi et je me sens combien seule. Mais cet enfant aussi et en plus, il est petit et dépendant, alors il me faut agir. Vite ! Je cherche le courage d'affronter la situation, de dire quelque chose aux parents pour qu'ils se décident à prendre soin de cet enfant qu'ils ont mis dans ce monde. Et la sagesse de trouver les bons mots, ceux qui vont les inciter à faire quelque chose d'intelligent (heartsmart), ceux qui vont éviter de les provoquer. Je sais par expérience que parfois, les adultes face à leur bêtise deviennent plus bêtes encore. Il ne faudrait pas que le père se mette en colère, lui qui en ce moment, parle au bébé qui pleure si fort depuis si longtemps en lui disant "ben non voyons, ça va, pas besoin de pleurer, c'est d'même, faut attendre, c'est chacun son tour, calme-toi", d'un air nonchalant et sans même toucher son enfant. Il semble le dire pour le public, pas pour son enfant. Aucun contact. Aucun sentiment. Aucun sentiment qui puisse se voir, se sentir, en tout cas. Et si ça ne se voit pas et ne se sent pas un sentiment d'amour pour son enfant, alors c'est qu'il n'y en a pas... ou alors peut-être un timide sentiment bien pauvre et sous-alimenté. Et le pauvre petit pleure si fort que c'en est déchirant et que je tente de trouver vite, vite, un peu de courage. Et voici ce qui s'est dit:
- "Vous n'avez pas peur qu'il s'étouffe ?" que je dis tout doucement, pour tâter le terrain.
- "Ben non, voyons, elle pleure, c'est normal, vous en faites pas, je connais ça les bébés, j'ai trois enfants, moi" me répond-il en avançant le bébé pour que je vois son visage.
- "Moi aussi, je suis mère. Elle pleure très fort, elle commence à se pâmer, c'est dangereux qu'elle s'étouffe. Pourquoi vous ne la prenez pas dans vos bras ?" que j'ose...
- "Ben non, vous savez ce que ça fait si on les prend dans nos bras."
- "euh...." que je sourcille tout en répondant à la caissière en même temps pour le remboursement du chapeau rouge.
- "Ben, ça fait des enfants gâtés !" clame-t-il haut et fort.
Là, je bouille, je vais sauter les plombs si j'entends encore quelqu'un dire ce genre de stupidité. (si j'en ai le courage... ce que je suis poule mouillée parfois) Non mais, dans quelle société on vit si on croit encore en 2010 que les enfants ça se gâtent si on en prend soin ? C'est pire que n'importe quoi, c'est de l'incitation à la violence ce genre de phrases débiles.
- "Mais non, les enfants ne deviennent pas gâtés si on en prend soin", dis-je le plus calmement possible.
- "euh..." de la part du père cette fois.
- "Non, ce qui gâte les enfants, c'est de ne pas en prendre soin, c'est comme avec les fruits. Les fruits gâtés sont ceux qu'on a laissés de côté, ceux dont on ne s'est pas occupés...et ils pourrissent" dis-je en répétant comme un perroquet cette phrase apprise aux rencontres de la LLL, il y a déjà si longtemps. Fiouf! (pourquoi je lui ai pas parlé de cette études qui dit que les bébés dorlotés font des adultes plus heureux, moins stressés..., pourquoi je ne trouve pas les mots quand il y a urgence...)
- "ouain, vous avez raison" fait le père en demandant à la caissière si elle a interac.
Comme cette dernière répond qu'ici, on ne prend que l'argent comptant, il regarde l'autre homme qui les accompagne et ce dernier décide qu'ils vont revenir après être passés au guichet. Et enfin, ENFIN, le père de trois enfants se décide à détacher le siège du cart et soulève cette petite qui a tout au plus un mois de vie pour sortir du magasin... et immédiatement, la petite arrête de pleurer. Elle n'en demandait pas trop, n'est-ce-pas ? Pauvre enfant ! Un dur moment pour l'humanité qui s'achève. Enfin, j'espère.
Pendant tout ce temps, je me suis aussi intéressée au mutisme et au visage pourpre de la mère qui semblait souffrir autant que son bébé dans le plus grand silence, dans l'oubli, elle aussi. Pourtant, elle est adulte maintenant, elle est mère maintenant, elle a un enfant. Alors, il lui faut trouver le courage, la force de parler, de s'affirmer, de prendre soin de son enfant, quoi! Des adultes, ça? Sûrement pas. Des enfants blessés, immobilisés. Des enfants blessés pendant leur propre enfance, meurtris par le manque de soins eux aussi. Leur corps a vieilli, rien d'autre n'a maturé. Des enfants laissés pour compte comme des fruits au fond d'un panier. Des enfants gâtés...
Édith